top of page

> Extraits

 

 

 

Phobie scolaire.

 Ils me demandent à combien de carreaux de la marge. Je dis trois. À trois carreaux. Moi je l'ai fait contre la marge. Je dis ce n'est pas grave pour cette fois. Ne barre pas, ne recommence pas, la prochaine fois tu feras plus attention.

Ils me redemandent à combien de carreaux de la marge. Je dis trois. Ou quatre. Comme vous voulez, ça n'a pas une importance vitale. On n'est pas à un carreau près. Le principal c'est que ce soit centré. A peu près centré sur la ligne. Dans la réglure Seyès. Dans le cahier.

Ils me redemandent à combien de carreaux de la marge. Je dis c'est en fonction de la taille de votre écriture. Par exemple je dis, là c'est une grande écriture qu'il a Erwan, alors il peut faire à trois carreaux, voire à deux carreaux. Vous devez adapter à votre écriture. Le but c'est que ce soit centré je dis. A peu près je dis. Pourquoi centré ? Parce que c'est comme un titre la date. On fait ça tous les jours. Pour faire un cahier propre. Pour s'organiser, pour être lu plus facilement, je leur dis. Pour faire dans la norme je me dis. «

 

Ils me redemandent à combien de carreaux de la marge. Je dis je viens juste de l'expliquer. Mais Amanda elle veut que je lui dise combien. A elle. Je lui dis combien pour la rassurer. Maîtresse tu peux me dire pour moi ? Et pour moi ? Et moi maîtresse ? Je dis on le décide une bonne fois pour toutes vous ferez comme ça toute l'année. Chacun son nombre de carreaux. Chacun son putain de nombre je me dis. Pourquoi on l'a pas fait avant ? Je ne sais pas, ça fait quand même un mois qu'on y est, je me dis à moi-même. Et vous faites comment avec l'autre maîtresse ? On fait toujours pareil, tous pareil, à quatre carreaux. Alors pourquoi vous faites pas pareil avec moi ? Tu nous l'as pas dit. Non. Je ne leur ai pas dit.

L’avis de ma mère.

Elle dit tu te rends compte ta cousine elle a eu un amant pendant qu'elle était avec son mari.

Elle dit qu'une histoire entre une femme prof qui a la quarantaine et un de ses élèves de 17 ans ça la fout mal à l'aise.
Elle dit je n'aime pas ce genre de femmes qui se laissent mener par le bout du nez pour des histoires de fesses.
Elle dit  le plus important dans la vie c'est les enfants.
Elle dit les infirmières elles étaient un peu coquines avec les médecins quand je travaillais à l'hôpital.
Elle dit la mère elle est partie avec son amant, elle a planté son mari avec les gosses, tu te rends compte.
Elle dit le père il est parti sans donner signe de vie, ben voilà la mère elle a plus qu'à se démerder.
Elle dit tu sais ton oncle il aurait pas pu rester avec cette femme, elle avait trop de classe et lui c'était un coureur.
Elle dit comment on peut se laisser avoir par un bonhomme, moi tu vois j'ai toujours voulu garder mon indépendance.
Elle dit ton père j'ai jamais rien voulu lui demander.
Elle dit tu sais ma sœur, elle a pas eu un bon mari. Ton autre tante non plus. Ni tes oncles avec leur femme. Finalement je suis toute seule et c'est moi qui m'en sors le mieux.
Elle dit tu sais si je ne t'avais pas eue, je serais morte. Ou en Afrique.
Elle dit tu sais la femme de ton père, c'était pas mon genre de bonne femme.
Elle dit j'aurais jamais du quitter le Havre, les bateaux me manquent.
Elle dit Pépé, il me faisait rester à table jusqu'à ce que j'ai fini de bouffer mes endives.
Elle dit il faut vraiment que vous soyez plus raisonnables, Marco et toi, dans vos dépenses.
Elle dit je ne supporte pas les femmes qui parlent de leur accouchement. Surtout celles qui ont allaité.
Elle me dit Mémé, elle en a eu cinq, mais tout ce qu'elle voulait c'était faire des blagues et mettre des grandes boucles d'oreilles pour aller  danser.
Elle dit ta fille avec moi elle dit rien, et elle mange de tout quand t'es pas là.
Elle dit j'ai encore perdu mes clés, si j'ai un Alzheimer, surtout, ne t'occupe pas de moi.
Elle dit j'ai encore perdu mon chéquier, si j'ai un Alzheimer, je t'en prie ne me mets  pas dans une maison de retraite.
Elle dit il faut tout écrire dans un cahier ce que vous dépensez. Pensez aux enfants elle dit.
Elle dit ton père je lui manque, il est perdu sans moi, il mange rien.
Elle dit tu vois si elle s'en sort ma soeur, je l'emmènerai une dernière fois en Algérie.
Elle dit, ta fille, la grande, elle est pareille que toi. A son âge tu bouffais rien.
Elle dit Marco c'est un bon père, il est là.
Elle dit toi t'étais fille unique, et ben t'es rudement mieux élevée que tes cousins qui sont huit.
Elle dit quand je mourrai, t'auras rien à payer.
Elle dit t'es toujours un peu folle, je pensais qu'avec les enfants ça se calmerait.
Elle disait quand j'étais petite, moi tout ce que je veux c'est que tu sois heureuse.

Le portail est fermé.

Le portail est fermé, mon portable aussi

Il me dit depuis des mois, le portail est fermé, personne ne vient chez nous, tant mieux, le portail est fermé. D’accord je dis. Le portail est fermé. En même temps, le portail est fermé et je suis enfermée, comme ce jour où je veux sortir de chez moi et je me rends compte que je ne peux pas.
Sortir de chez moi.
Alors ? On fait quoi ? On fait quoi mon amour ?
Et bien on ne sort pas.
Je dis si.
Il dit tu as raison, sors. Mais ne me fais pas chier.  De toutes façons, mon portable est fermé.
On est ici depuis un certain nombre d’années. D’accord ceux d’ici, ceux de là, y sont pour quelque chose, mais moi je dis si, je veux sortir.
Tu veux sortir pour aller où ? Me fais pas chier.
Je veux sortir.
Et alors tu vas faire quoi ? Tu vas aller là-bas ? Comme d’habitude ?
Je dis non, je vais aller là-bas, mais pas comme d’habitude.
Me fais pas chier, il me dit.
Je vais voir le niveau des mes lumières, le niveau de mes enfants, le niveau de mon mari, je vais voir s’il y a quelque chose de bien à la télé. Je vais voir.
Il me dit : et fais pas chier quand tu rentres,  je serai pas là de toute façon.
Je le regarde. Je les regarde. Je suis là et pas là. Toujours là mais déjà partie. Je me dis je suis là. C’est l’essentiel. Mais partie. En partie.
Il vient et m’embrasse le cou et le reste du corps. Et il me dit tu aimes que je te dise ça, et que je te fasse ça, et que je te touche là. Là.  Tu aimes là. Et ça.
Je dis oui. Oui.
Je vais sortir mon amour. Ne t’inquiète pas. Je vais sortir. Je vais aller là-bas.


Et je vais revenir.



Emma George.

Logo OK JPEG.jpg
  • Facebook
  • Instagram

La compagnie est conventionnée DRAC - Nouvelle Aquitaine

Marilyne Lagrafeuil est artiste associée au Théâtre du Cloître - Scène Conventionnée de Bellac

bottom of page