"J’ai créé la compagnie La sœur de Shakespeare en 2013 quand Emma George m’a envoyé les premiers extraits de son texte « A combien carreaux de la marge ? ».
Ce texte profondément personnel, non écrit pour le théâtre, m’est apparu comme une évidence.
Enfin une parole de femme d’aujourd’hui, non convenue, puissante et poétique. Je voulais adapter ce texte pour le théâtre et l’endosser comme comédienne.
J’ai invité Gwenaëlle Mendonça à le mettre en scène.
Cette collaboration nous a donné envie de nous associer plus étroitement dans une codirection de la compagnie.
Ensemble, nous avons créé en 2016 « Mange moi », spectacle qui se joue dans les restaurants et mêle gastronomie et littérature érotique.
Puis nous avons commencé une recherche autour de la création de « Rester dans la course », pour questionner l’injonction à la réussite.
En cours de projet, Gwenaëlle a fait un burn out et quitté la compagnie.
Cette déflagration personnelle et professionnelle m’a forcé à interroger mon travail.
Seule.
Il est apparu comme une évidence que ce que nous voulions raconter avec « Rester dans la course » et ce qui se passait dans nos vies était la même chose.
J’ai donc décidé d’écrire en prenant comme matière les expériences sociales que je traversais ainsi que celles de mon entourage.
J’avais trouvé un langage : l’autofiction.
Obsédée par notre monde contemporain, je cherche à saisir comment il impacte l’individu et l’intime.
Je tente d’enregistrer le monde en le vivant.
Je traque quelque chose qui appartient à l’humanité dont je suis en exemplaire.
Pour ce faire, je crée un « double moi », un moi de théâtre, qui dans une immense sincérité vient raconter son histoire qui peut être perçue comme réelle par le public.
A travers ce dispositif, je cherche l’identification du spectateur.trice aboutissant à une catharsis collective.
Depuis la création de la compagnie, la musique joue un rôle central dans les spectacles.
Je cherche un rapport cinématographique entre texte et musique, une émotion directe.
Comme le dit Marguerite Duras : « La musique c’est la plus haute instance de la pensée à son stade archaïque. Elle ne sait pas ce qu’elle fait la musique ».
Exerçant les activités de metteuse en scène, d’autrice et d’actrice, je cherche à transcender un fil narratif classique par une exigence de pensée et une recherche de formes absolument contemporaines. "
Marilyne Lagrafeuil
"Cette sœur de Shakespeare mourut jeune...hélas, elle n'écrivit jamais le moindre mot. (...) Or j'ai la conviction que cette poétesse (...) vit encore. Elle vit en vous, en moi, et en nombre d'autres femmes qui ne sont pas présentes ici ce soir, car elles sont en train de laver la vaisselle et de coucher leurs enfants. Mais elle vit, car les grands poètes ne meurent pas; ils sont des présences éternelles; ils attendent seulement l'occasion pour apparaître en chair et en os. Cette occasion, je le crois, il est à présent en votre pouvoir de la donner à la sœur de Shakespeare."
Virginia Woolf. Une chambre à soi
"Si nous acquérons la liberté et le courage d'écrire exactement ce que nous pensons,
si nous parvenons à échapper un peu aux grimaces du salon et à voir les humains,
non seulement dans leurs rapports les uns aux autres,
mais aussi dans leur relation avec le ciel, les arbres, le reste
alors,
si nous ne reculons pas devant le fait qu'il n'y a aucun bras auquel s'accrocher
et que nous marchons seules,
alors,
cette poétesse morte qu'était la sœur de Shakespeare prendra cette forme humaine à quoi elle dut si souvent renoncer.
Grâce aux inconnues qui furent ses devancières, elle naîtra.
Et c'est chose qui vaut la peine."
Une chambre à soi. Virginia Woolf
La compagnie La Sœur de Shakespeare développe un théâtre de l’intime traversé par les secousses du monde contemporain. À la croisée de l’autofiction, de l’écriture documentée et de la musique live, ses créations mettent en lumière les mécanismes de dépossession que produit notre société sur les corps, les récits et les sensibilités.
Au cœur du travail, il y a cette volonté de dire ce qui est souvent tu : l’épuisement, la solitude, les contradictions intimes, les désirs invisibilisés, les formes d’attachement qui échappent aux récits dominants. En prenant appui sur des expériences vécues, transformées par l’écriture scénique et musicale, la compagnie interroge les normes de genre, de réussite, d’amour et de productivité qui encadrent nos existences.
À travers les prismes du burn-out (RESTER DANS LA COURSE), de la rencontre amoureuse à l’ère numérique (MATCH !) et de l’amitié comme espace d’émancipation (SINGLE), la trilogie TOUT IRA BIEN explore les tensions entre l’intime et le politique. Elle cherche à rendre visible ce qui résiste, ce qui déraille, ce qui invente d’autres manières de vivre et de se relier.
Loin d’un théâtre didactique, c’est un théâtre poreux, frontal et sensible, qui assume la fragilité comme force poétique. La musique y tient un rôle central : écrite en dialogue étroit avec le texte, elle trouble, relance ou déplace le sens. Elle est parfois l’endroit du surgissement émotionnel, parfois un espace d’ironie ou de consolation.
La compagnie adapte ses spectacles en formes itinérantes et légères pour aller à la rencontre de celles et ceux qui sont souvent tenu·es à distance des lieux culturels. Cette volonté d’accessibilité n’est pas une mission annexe : elle est au cœur du projet artistique. Elle prolonge une démarche qui place la relation au public, la circulation des récits, et l’égalité d’accès aux émotions comme conditions fondamentales de la représentation.
Lagrafeuil